Interview de Gilles Guichard, coureur français de 55 ans. Vainqueur de la SaintéLyon 2004, des Templiers 2006 et 4ème des premiers mondiaux de Trail en 2009. Devenu coach en équipe de France de Trail.
L’Interview Ecrite : Par Corentin Crouzet pour Trail Session Magazine
1) Commençons par l’actualité, c’est à dire l’équipe de France, tu étais aux championnats du monde de Trail au Portugal il y a un mois, peux tu nous expliquer ton rôle au sein de cette EDF ?
J’ai été appelé par Philippe Propage (actuel coach principal de l’équipe de France), mon coach depuis 2006 mais surtout un grand ami (…). A la fin de mes saisons dans le Team Adidas, il m’a demandé d’encadrer les coureurs avec lui. Les athlètes me connaissent bien, je partage des entraînements avec eux et cela me permet de voir des choses que Philippe ne peut pas voir, à l’intérieur des entraînements, lors des sorties, et d’échanger un peu plus avec les athlètes. Des fois l’athlète se confie plus facilement lors de l’entrainement. Mais mon rôle reste second, l’entraîneur principal c’est Philippe, il prend les décisions et il a juste fait appel à mon expérience.
L’équipe de France est une grande famille avec de vraies valeurs d’amitié et une cohésion de groupe, grâce a Philippe, et cette mentalité nous a permis d’arriver à ces résultats (…).
2) L’équipe de France, cette année encore, termine championne du monde par équipe, avec le titre individuel en féminine, quel bilan tires-tu de ces championnats ?
Très satisfaisant, on aurait signé de suite pour un tel résultat ! Mais rien de surprenant vu le travail fait en amont et la motivation des athlètes. Ce travail a débuté quand Philippe a commencé à regrouper des athlètes lors des premiers championnats du monde 2009 où nous étions trois athlètes réunis avec Thierry Breuil et Thomas Lorblanchet, et trois filles. Depuis, Philippe bosse bien pour aller chercher les meilleurs coureurs et les mettre en confrontation dans des entraînements, pour leur permettre de progresser. Aujourd’hui on est la seule équipe qui organise des stages, avec un niveau aussi homogène. (…)
3) La cohabitation est bonne dans un groupe comme celui-ci, avec autant de champions ?
Très bien, c’est quasiment une ambiance de club, les gens sont heureux de se retrouver, échanger et se tirer la bourre à l’entrainement. Les athlètes sont très sérieux mais ne se prennent pas la tête !
4) Tu juges positivement le fait que le Trail soit une discipline de plus en plus organisée, avec des équipes nationales, des championnats réguliers, etc ?
Le Trail est une discipline qui évolue, émergente (…). Les sponsors investissent, mettent des moyens sur les athlètes qui deviennent leur vitrine, avec des épreuves de masses.
Le Trail est en plein évolution. Mais nous n’avons pas encore atteint le plus haut niveau, à l’entrainement il y a encore des choses à perfectionner, on ne connait pas tout encore ! Même si le Trail est une discipline très simple (il n’y a rien de plus bête que courir !), il manque encore plein de choses à structurer et mettre en place, et le Trail va encore énormément progresser.
« Voir mes jeunes progresser aujourd’hui, c’est une de mes plus grandes satisfactions »
5) On va enchaîner avec le coaching que tu pratiques de plus en plus, selon toi comment s’entraîne un champion de Trail ?
Ce sont des entraînements quotidiens, entre 20 et 25h par semaine, en mixant course à pied et vélo. Ils ont un travail qui leur laisse le temps de s’entraîner et de faire des préparations de sportifs de haut niveau. On est dans le très haut niveau avec les coureurs de l’équipe de France, pour certains on a des moteurs de coureurs du Tour de France !
6) A ton retour du Portugal tu as repris l’entraînement avec tes coureurs locaux du groupe Atousports, comment on passe du gratin mondial aux amateurs ?
C’est toujours très agréable de retrouver mes jeunes avec qui je partage de supers moments depuis 2-3 ans. Quand je reviens j’ai plein de choses à leur raconter, la différence se fait simplement dans le niveau, en terme d’ambiance c’est pareil ! Voila ce qui fait la beauté du Trail aujourd’hui, personne se prend la tête, chacun bosse pour atteindre son meilleur niveau mais on garde le sens de l’amitié et du partage. (…)
Au départ je n’étais pas du tout parti pour coacher des athlètes, je n’avais même pas pensé à mon après carrière. Ça s’est fait naturellement, aujourd’hui le sport m’a beaucoup apporté donc ce que j’ai appris, il faut savoir le retransmettre. C’est très agréable, on se retrouve à 40 à l’entraînement, de tous les niveaux. Tout le monde fait la même séance, chacun à sa vitesse, et ça tire tout le monde vers le haut, c’est ce qui me plait et me motive ! (…). De voir les jeunes progresser aujourd’hui, c’est une de mes plus grandes satisfactions.
7) Tu cours depuis le début des années 2000, on sait que le Trail est en plein essor actuellement, quel est ton regard la dessus ? Avec l’augmentation du nombre de courses, de coureurs, et de kilomètres proposés ?
Je vois une amélioration du niveau, logique parce que la discipline émerge. L’évolution est positive, dans les résultats et les méthodes d’entraînement, mais on va encore découvrir des choses d’ici 4 – 5 ans.
« On met des plans d’entraînement en place, c’est une chose, mais savoir se connaître reste la meilleure des choses »
Par contre, on ne sait pas encore non plus la répercussion sur le corps pour les gens qui abusent un peu des compétitions, qui courent un peu trop sur de longues distances. Je pense qu’il faut rester mesuré, le Trail est différent du vélo. On ne peut pas faire des compétitions tout le weekend, surtout avec du gros dénivelé, qui amène une usure du corps assez importante (…), il faut être prudent et savoir construire une carrière. A la sortie, le bilan ne se fait pas au nombre de courses faites, mais au nombre de courses réussies, et au nombre d’années courues sans blessure ! (…)
Le Trail est un sport exigeant, il faut une certaine intelligence pour mener la carrière d’un athlète. On met des plans d’entraînement en place, c’est une chose, mais savoir se connaître reste la meilleure des choses. Quand on se connaît, avec un plan d’entrainement adapté à coté, les résultats suivent.
8) Pour finir on va parler de toi et ta carrière, tu as commencé au cyclisme pendant une dizaine d’années (équipe de France amateur), avant de te tourner vers la course. Pourquoi ce changement ?
J’ai adoré le vélo, surtout dans mes premières années de découverte, mais le vélo demande de partir loin de la maison, s’entraîner par tous les temps. En course à pied, la météo exécrable est moins dérangeante !
Le vélo reste aussi une discipline tactique, on peut être le plus fort et ne pas gagner, tandis qu’en course à pied, la hiérarchie est vite établie et respectée. Et puis la course laisse plus de temps pour être avec la famille et avoir une vie sociale.
9) Tu m’amènes à ma prochaine question, comment on reste au top niveau quand on a une femme, des enfants, un boulot, etc ?
Il faut déjà que le conjoint accepte le fait que l’athlète va vivre un peu égoïstement. Un athlète de haut niveau doit être égoïste pour réussir et doit faire attraction de certaines sollicitations. Si aujourd’hui je suis capable de me mettre au service des jeunes c’est que je suis en fin de carrière, et j’ai donc plus de temps à donner aux autres. Un athlète lui ne peut pas, la pratique lui prend tout son temps. Donc, il faut que le conjoint l’accepte et partage cela avec le coureur (…).
10) Ton meilleur souvenir, ce serait quoi ?
Les Templiers 2006 au niveau des victoires, pour le reste les deux dernières saisons avec l’EDF sont de très grands souvenirs.
– Ton pire souvenir ?
La course reste du sport (…), il faut ne pas dramatiser de mauvais résultats, mais je dirai la Saintélyon 2003. J’étais seul en tête avec 5 bonnes minutes d’avance et je pars sur une fausse route (…). J’ai voulu revenir comme un fou sans calculer, j’ai laissé beaucoup d’énergie et j’ai du abandonner à 8km de l’arrivée. J’étais vraiment déçu d’avoir raté ce grand rendez vous, mais j’ai pu prendre ma revanche l’année d’après.
– Tu as fait énormément de Trails, entre 30 et 80 km, l’ultra ne t’a jamais attiré ?
J’en ai fait deux, l’Aubrac en 2011 et l’Endurance Trail des Templiers. Je gagne l’Aubrac et je fais 6ème à l’Endurance, mais je n’aime pas ce format de course, j’ai l’impression de m’ennuyer. Pourtant, je pense que physiologiquement ces distances auraient pu me plaire, mais mentalement je n’étais pas prêt (…).
– Les courses sur route ?
Quand j’ai attaqué en course à pied je voulais faire du marathon. J’avais fait le marathon de Lyon en 2002 avec un chrono de 2h32. Mais dans les mois suivants j’ai connu le Trail, j’ai adoré l’ambiance et je suis resté sur ce type de course.
11) Comment est ton corps après tous ces km parcourus, pas trop de casse ?
Je me sens bien, après 55 ans je pense qu’on a forcément des douleurs, articulaires, musculaires (…), mais je n’en ai pas plus que d’autres malgré les kilomètres !
J’ai toujours fait ça sans abuser, avec une bonne hygiène de vie, et j’ai un facteur génétique qui m’aide beaucoup j’en suis certain. Donc aujourd’hui je me sens encore neuf !
12) Dernière question, tu as maintenant 55 ans, on t’a encore vu courir sur le Trail urbain de Saint Etienne où tu vas chercher une belle 8ème place. Comment s’écrit l’avenir en course à pied pour toi ?
On verra année par année ! Je souhaite courir le plus longtemps possible. C’est tellement bon de pouvoir courir, prendre les baskets au lever du jour, été comme hiver, rentrer en ayant partagé de bons moments avec les copains, c’est encore plus fort que la compétition pour moi. Je sais que mes plus belles années sont derrière, il faut l’accepter et c’est normal. Je vais repartir pour une prochaine saison, et puis bien sur je compte accompagner l’EDF dans les stages lors des prochaines années !
Interview par Corentin Crouzet. Montage vidéo – photos par Guillaume Gauffroy.
Trail Session Magazine, Décembre 2016
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