Après Aurélien Collet et Ludovic Pommeret, Trail Session continue de s’entretenir avec les vainqueurs de la Réunion.
Aujourd’hui, honneur aux femmes et à Juliette Blanchet pour sa très remarquée 2ème place !
Une exclusivité Trail Session, bien sûr !
– Trail Session: « Juliette, tout d’abord, merci de nous recevoir et de prendre le temps répondre à nos questions. Avec ce magnifique résultat dans l’un des plus prestigieux trails au monde, tu rentres dans une nouvelle dimension. Qu’est ce qui a changé depuis ces 10 derniers jours ? Plus de sollicitations médiatiques, un nouvel intérêt auprès des sponsors, plus de nouveaux « amis » ? »
Juliette Blanchet: « Ben en fait je vais peut-être vous décevoir mais ma vie n’a pas changé. J’ai signé mes premiers autographes, répondu à quelques interview médias, reçu une dizaine de demandes « d’amis » mais c’est tout.
On ne me reconnaît pas dans la rue, même à la Réunion où le Grand Raid est pourtant une institution. En fait, tout est comme avant, et ça me va très bien comme ça! »
– Trail Session: « En juin, tu prenais le départ des 80km du Mont Blanc, en préparation à la Diagonale. Tu finis cet ultra en 14h20, 10ème féminine. Mais si je reprends tes propos « loin, très loin des meilleures filles » qui terminent à + 1h30 devant toi. Aujourd’hui on peut dire que tu as passé un sacré cap ! Qu’est ce qui s’est passé au cours de ces 4 derniers mois ? Est-ce que tu serais dire à quel moment a eu lieu ce déclic. Au grand raid des Pyrénées? »
Juliette Blanchet: « C’est marrant car ce n’est pas la 1ère fois qu’on me demande si le GRP fut un déclic. En fait non, si on regarde ma saison j’ai été en constante progression, des 80km du Mont Blanc jusqu’à la diagonale des fous.
Mon objectif était cette diagonale donc j’ai tout fait pour être prête mi-octobre. Mon début de saison (Ventoux, Buis les Baronnies …) n’a pas été très bon mais c’était voulu. Le but était vraiment de retarder mon pic de forme à octobre.
Ma première course satisfaisante de la saison fut les 80km du MB, pourtant je sentais que j’étais encore assez loin de ce que je pouvais faire. Au fil de l’été j’ai commencé à me sentir de plus en plus affûtée, ce qui a été confirmé par ma bonne prestation au GRP.
Ensuite j’ai attrapé une bronchite et n’ai malheureusement pas pu donner le meilleur de moi-même au 45km de Serre Chevalier. Néanmoins, une fois rétablie, je savais que j’étais prête pour la diagonale des fous.
Donc pour résumer il n’y a pas eu de déclic. Par contre, c’est vrai que 2014 fut peut-être ma meilleure saison. C’est peut-être du à plus de variations dans mon entraînements, avec notamment des séances d’escaliers et de casse de fibres qui m’ont, je pense, fait du bien. »
– Trail Session: « Parlons préparation. La Diagonale des Fous était ton gros objectif de l’année. J’imagine que tu as construit ta saison autour de cette course. Quelle ont été les grande lignes de ta préparation. Comment as-tu réparti ton volume d’entrainement? »
Juliette Blanchet: « En général 5 à 6 entraînements par semaine avec des sorties longues à partir de mi-mai et deux semaines chocs : début août en Ubaye et mi-septembre à Chamonix avec des entraînements bi-quotidien (séances qualité la matin et endurance l’après-midi). »
– Trail Session: « As-tu travaillé plus spécifiquement certains aspects ou certaines techniques plus que d’autres? »
Juliette Blanchet: « A partir de juillet : une séance d’escaliers et une séance de casse de fibres par semaine. A vrai dire je pense que ces séances, que je ne faisais pas avant, m’ont été très profitables et j’aurais sûrement du les commencer plus tôt! »
– Trail Session: « Comment se prépare-t-on à l’effort sous un climat tropical? »
Juliette Blanchet: « Malheureusement, à part se rendre sous les tropiques, on peut difficilement s’y préparer de métropole !
Néanmoins je pense que c’est une bonne idée d’arriver une semaine avant le départ et de faire quelques randos cool. Au moins pour voir comment son corps réagit à la chaleur et à l’humidité. C’est comme ça que je me suis aperçue que mes pieds gonflaient et que les chaussures que je voulais initialement mettre n’allaient pas du tout car je me suis attrapée des ampoules en moins d’une heure au Maido! »
– Trail Session: « Tu as été finisher de l’UTMB. Est-ce que l’expérience acquise sur cette course t’a apporté de l’assurance pour la Diagonale. »
Juliette Blanchet: « Oui indéniablement. Chaque ultra apporte de l’expérience. A l’UTMB par exemple j’avais très mal géré mon alimentation. J’ai été incapable de m’alimenter pendant les 15 dernières heures… Cette fois je voulais absolument éviter cela et j’ai travaillé toute cette année sur mon alimentation de course. Ce qui a marché puisque j’ai réussit à m’alimenter sur toute la course.
Finir l’UTMB m’a aussi apporté de l’assurance dans la mesure où je savais que courir 165km était faisable. En fait j’étais beaucoup moins stressée au départ de la Diag qu’au départ de l’UTMB. Je savais que ce serait dur, mais je savais aussi que c’était faisable! »
– Trail Session: « Si tu devais conseiller des traileurs désirant faire la Réunion. Leur conseillerais tu de finir d’abord l’UTMB avant de s’élancer sur la Diagonale ? Ou bien est-ce 2 ultras totalement différents. »
Juliette Blanchet: « La Diag est plus dure que l’UTMB et je pense vraiment qu’une erreur de beaucoup de coureurs est de vouloir brûler les étapes. Je dirais que pour être raisonnable, il faut d’abord finir plusieurs 100km en montagne, puis faire un 160km plus roulant type UTMB, avant de pouvoir se lancer sereinement sur la Diag. »
– Trail Session: « Je ne sais pas si à l’UTMB, tu as utilisé des bâtons. Mais à la réunion, c’est totalement interdit. Est-ce que ça a été pour toi une difficulté supplémentaire. »
Juliette Blanchet: « J’avais les bâtons à l’UTMB et à l’époque je ne me voyais pas ne pas en avoir. Les bâtons étant interdits à la Réunion, j’ai fait toute cette saison sans, entrainement comme compétition. Au début je me suis sentie sans « punch » en montée. Mais au fil du temps je me suis améliorée et finalement je me demande si je les reprendrais sur l’UTMB si je devais le refaire. Je trouve les relance et les parties courses plus aisées sans bâton mais surtout je vois bien qu’ayant les mains libres, j’ai moins la flemme de m’alimenter. »
– Trail Session: « Revenons sur la course. Tu a été à la lutte avec Uxue Fraile pendant + de 40km pour finalement gagner ce duel au sprint sur la piste du stade de la Redoute. Quel était ton état d’esprit pendant cette confrontation. Tu as douté ou pour toi, c’était clair tu finirais devant ? »
Juliette Blanchet: « Quand je l’ai doublée dans la descente du Maido, je savais que la course était encore longue mais sincèrement, vu nos différences de vitesse et de foulée à ce moment là je me suis dit que ça sentait bon pour la 2ème place.
J’avais 13′ d’avance sur elle au début du chemin ratineau mais ce dont je ne me suis pas aperçue c’est qu’à partir de là elle n’a plus fait aucun arrêt aux ravitaillements alors que moi je m’arrêtais 5′ chaque fois. C’est comme ça qu’elle est revenue sur moi petit à petit, retrouvant également partiellement la forme après un gros coup de mou depuis plusieurs heures.
A Grande Chaloupe, au pied de la dernière montée, elle avait moins de 4′ de retard. Je me suis un peu perdue dans la montée (mélange de fatigue et de mauvais balisage) et elle m’a rattrapé juste avant le Colorado. On a entamé la descente au sprint (manque de lucidité des deux côtés : on avait encore presque 1h pour se départager !) et j’ai réussi à prendre de l’avance dans les parties techniques. Dans toute la descente, je me retournais régulièrement pour voir si elle revenait. Ne la voyant pas, je pensais avoir fait la différence.
Mais les basques sont têtus ! 🙂 Elle est revenue sur moi à quelques minutes de l’arrivée. J’ai réussi à accélérer et à faire un petit trou sur elle. Je suis entrée en tête sur le stade, je pensais que c’était gagné pour la 2ème place. J’ai ralenti pour profiter du moment et de ma famille présente en nombre, jusqu’à ce que mon frère, paniqué, m’hurle de sprinter car Uxue était encore revenue sur moi ! C’est comme ça que j’ai fini au sprint! »
– Trail Session: « Terminer un ultra trail de 170km au sprint. C’est complètement fou ! Ça restera ton grand souvenir ? »
Juliette Blanchet: « Effectivement, 8′ d’écart sur plus de 34h de course, c’est fou ! Je me souviens avoir eu très mal aux jambes en entrant sur le stade mais à partir du moment où mon frère m’a hurlé de sprinter, bizarrement mes jambes sont devenues toutes légères… jusqu’à la ligne d’arrivée… Ensuite la montée d’acide lactique fut terrible! »
– Trail Session: « Tu dis ne pas faire de préparation mentale particulière. Pourtant tout coureur d’Ultra sait au départ d’une course qu’il va passer des moments très difficiles, de gros moments de « solitude ». Comment tu gères ces moments. »
Juliette Blanchet: « Effectivement, il y a toujours des moments difficiles et ce que je me dis toujours c’est que ça va passer, que bientôt ça ira mieux. Je m’accroche à des petits détails : « là haut ce sera beau », « ensuite il y a la descente ça ira mieux tu pourras dérouler », ou alors «ensuite c’est la montée ce sera plus facile tu pourras marcher ». Bref je me mens beaucoup ! 😉 Sur les ultras j’ai la chance d’avoir de l’assistance de ma famille et ça aide beaucoup pour tenir. Cette fois toute ma famille était là (parents, frère, belle-sœur, cousin, concubin), je ne pouvais pas lâcher! »
– Trail Session: « Dès le départ, tu as été en avance sur tes prévisions, comment as-tu géré ton effort et particulièrement ton alimentation. Avais-tu une stratégie de course clairement établie? »
Juliette Blanchet: « Grâce à un planning de roulement digne d’une entreprise du CAC40, ma famille a réussi à m’assister en 8 points du parcours. Si bien que j’ai pu avoir mes produits habituels sur toute la course, sans presque jamais me servir aux ravitaillements de l’organisation. J’avais au préalable préparé un petit sac congélation avec ce que je voulais emporter (barres, gels, compotes etc) à chaque point d’assistance. Sur la première moitié de la course, c’était principalement des barres, quelques compotes énergétiques et toutes les 4-5h un petit sandwich jambon-fromage (gruyère ou fromage frais). A partir de 15h de course, j’ai toujours plus de mal à mâcher et j’ai remplacé les barres par des gels et gommes énergétiques, avec de temps en temps des pastilles à la menthe à sucer pour me rafraichir et me réveiller. A chaque point d’assistance, je mangeais également quelques bouchées de pommes de terre et patates douces cuites à la vapeur. »
– Trail Session: « Maintenant, c’est un repos bien mérité avant de reprendre, j’imagine en douceur, la préparation hivernale. As-tu déjà une petite idée de ce à quoi va ressembler la saison 2015 de Juliette ? »
Juliette Blanchet: « Cet hiver je vais peu courir, peut-être 3 séances par semaine, mais que de la qualité. Le week-end sera exclusivement réservé au ski de fond et à la rando, sans aucune compétition. Je reprendrai plus intensément la course à pied en mars 2015 avec une reprise des compétition en avril. Par rapport à cette année la reprise sera donc plus tardive, mais surtout je pense faire moins de compet, en tout cas moins de courses autour de 40km qui ne m’apportent pas grand chose. Pour ce qui est du programme plus précis, je ne sais pas encore mais il y aura probablement plusieurs courses entre 80 et 100km et un objectif principal plus long. »