Martin Fourcade. Un nom qui parle à tout le monde. Les jeunes, les vieux, amateurs de sport ou non. Cinq titres de champion olympique, 11 titres de champion du monde, etc. La liste est longue, le résumé d’une carrière incroyable et longue de 12 années. Douze ans à tutoyer les sommets du biathlon mondial, jusqu’à une retraite méritée à l’âge de (seulement) 32 ans. 10 ans jour pour jour après sa toute première victoire, il ne pouvait rêver mieux pour tirer sa révérence.
Et maintenant, à quoi ressemble la vie de Martin Fourcade, le jeune retraité ? Notre rédacteur Corentin a eu la chance de le croiser dans les Pyrénées et de partager avec lui quelques moments privilégiés, à vélo ou en courant.
Il vous raconte la nouvelle vie du sportif français le plus titré de l’histoire.
Sur les sentiers avec Martin Fourcade
C’est en Cerdagne que j’ai eu l’occasion de rencontrer Martin Fourcade, lors de la présentation de la station de trail du Puigmal. Le pyrénéen de naissance était de retour en terre natale pour partager avec nous le projet de son partenaire de toujours, Rossignol.
Le Puigmal, ancienne station de ski alpin, se reconvertit en station de trail avec l’aide de Rossignol. Local de l’étape, Martin Fourcade est forcément une passerelle forte entre la marque de ski et cette région. Il y revient toujours deux ou trois mois par an, pour revoir sa famille bien sûr, et retrouver les sentiers de son enfance.
Pour ma part, la découverte de la station fut donc aussi l’occasion parfaite pour partager quelques moments avec Martin. Nous partons pour un petit tour en VTT. L’assistance électrique rend la balade bien sympathique… mais ne permettra pas de jauger de l’état de forme du jeune retraité 😉
Le lendemain, nous partons en trail pour l’ascension du Puigmal, sommet à 2910m. 2h30 plus tard, la sortie est bouclée, l’occasion pour moi de voir que son état d’esprit de compétiteur ne l’a pas vraiment quitté ! Une montée en groupe, tranquillement, avant de mettre les gaz pour l’ascension finale !
Martin mène la danse et impose le rythme… les jambes sont bien présentes et le moteur tourne toujours à plein régime. Si vous imaginiez un Martin Fourcade qui se laisse aller, avec quelques kilos superflus, ce serait mal connaître le phénomène !
Je m’accroche derrière lui et nous finissons ensemble jusqu’au sommet. Un sommet avec un champion olympique, ça valait quand même bien une petite photo !
La descente se fera sur un rythme plus tranquille, un bon moment pour discuter un peu mieux et revenir sur quelques étapes de sa carrière marquante.
Les moments forts de la carrière de Martin Fourcade
Le meilleur souvenir ?
Trois ressortent immédiatement de son esprit : d’abord, sa toute première victoire en coupe du monde, puis la médaille d’argent aux JO de Vancouver alors qu’il n’était pas du tout attendu.
Et surtout l’or olympique glané sur la poursuite aux JO de Sotchi 2014, le lendemain d’une grosse défaite. Une victoire tellement symbolique de sa carrière, forgée sur un mental hors du commun et une capacité à se relever dans toutes les conditions. Une course préparée depuis 2 ans, comme un objectif ultime qui aboutit.
Ses meilleures années ?
« En 2017 – 2018, les sensations sur les skis étaient juste incroyables, je n’avais jamais atteint un tel niveau ».
La redescente fut un peu plus difficile avec une année 2019 étrangement compliquée, comme s’il était soudainement redevenu « humain » :
« Je pense que j’avais mal récupéré après les JO tout simplement, je suis reparti tout de suite dans une préparation et je l’ai payé. J’étais encore sur des performances incroyables pendant la préparation, je surfais sur la vague JO, et derrière la fatigue m’a rattrapé ».
Il parle de sa carrière avec passion, se remémore les belles joutes avec ses adversaires, les frères Boe en tête, évidemment. Il évoque une rivalité toujours saine et respectueuse avec ceux-ci, comme avec la plupart de ses adversaires (sauf avec le russe Shipulin, dont on se souvient de quelques échanges houleux en 2017).
La course à pied
Après la carrière sportive vient le temps de la reconversion. Se fera-t-elle dans la course à pied ? Forcément, nous serions tous très intrigués de voir Martin Fourcade sur nos trails, connaissant ses capacités d’endurance !
Pour le moment, ça ne semble pas vraiment au programme…
Le trail a toujours été une activité de choix dans ses préparations. Il en fait donc toujours beaucoup, sauf que maintenant il peut en profiter sans « prise de tête », sans objectif de chrono, juste pour le plaisir. Il avoue d’ailleurs ne jamais faire de séances VMA, et ne vise pas la performance dans cette pratique.
Nous évoquons ensuite l’ultra trail, une discipline qui ne l’attire pas du tout. « Non, c’est quelque chose que je ne ferai jamais je pense. Déjà l’effort est beaucoup trop long, j’ai du mal à envisager une durée d’effort supérieure à 4h. Et puis j’ai un peu de mal avec cette notion de courir avec comme seul objectif de terminer la course. Si je prends un dossard c’est pour me confronter aux autres. Sinon, si c’est juste pour la ballade, alors je pars en OFF, seul ou avec des copains. »
Vous l’aurez compris, le compétiteur est toujours là et il n’envisage pas la course sans objectif de victoire.
Les partenaires
Pour finir la sortie, nous évoquons la collaboration toujours maintenue avec ses partenaires. Malgré la fin de sa carrière sportive, le travail avec eux est toujours d’actualité et l’occupe régulièrement sur des journées d’intervention, des tournages publicitaires, interviews, etc. Il compte six partenaires majeurs et trois mineurs, qui le suivent pour la plupart depuis 10 ans au moins.
Parmi eux, Rossignol bien sûr. Ambassadeur de la marque, il s’engage aujourd’hui à leur côté sur le programme Respect. Le concept de ce programme ? Une volonté d’œuvrer de façon responsable dans l’activité en montagne. Agir en essayant de privilégier les acteurs qui respectent leur environnement, créer des skis avec des matériaux éco – responsables… ainsi que quelques objectifs chiffrés, comme réduire de 30% l’empreinte carbone de Rossignol d’ici 2030. Pour Martin, il s’agit forcément d’un sujet qui le tient à cœur, lui le montagnard de toujours, originaire des Pyrénées et résident du Vercors.
La retraite et les nouveaux projets : l’interview de Martin Fourcade
Pour finir la journée, nous échangeons de façon plus posée. Le moment de prendre le temps et de revenir ensemble sur son début de retraite et ses nouveaux projets de vie. Voici donc les confessions de Martin Fourcade, le multiple champion olympique devenu jeune retraité.
L’après-carrière de Martin Fourcade
Tout le monde te connaît en tant que Martin le sportif, on aimerait mieux te connaitre en tant que Martin le jeune retraité. C’est quoi la journée type de Martin Fourcade depuis quelques mois ?
La journée type c’est lever 7h30, amener les filles à l’école et partir de l’école en vélo ou en trail pour 2 – 3h. Puis un peu de temps calme pour le repas et ensuite boulot à la maison, c’est à dire gérer les choses avec mes partenaires : la sortie de mon livre par exemple dans une semaine (ndlr : le livre « Un dernier tour de piste » est sorti le 30 Septembre), ou encore l’événement que j’ai crée l’année dernière à Annecy, une sorte de festival en centre ville sur le thème du biathlon. Les JO 2024 également. Donc plusieurs thématiques et projets qui me tiennent beaucoup à coeur et que j’aborde sur ma demi journée de « travail ».
Pourquoi tu t’arrêtes à 32 ans ? Tu as souvent dit que tu ne voulais pas aller jusqu’à 40 ans comme Bjoerndalen, mais il y avait encore un peu de marge non ?
Oui j’aurais pu continuer, aller jusqu’à Pékin et peut-être ramener un autre titre olympique. Après j’ai vraiment écouté mon ressenti. C’est une des premières décisions dans ma vie qui s’est imposée d’elle-même, je sentais avoir fait le tour de ma vie de biathlète. Je ressentais le besoin de passer plus de temps avec ma famille, l’envie de porter ma voix différemment.
Et surtout je n’étais pas prêt à faire des compromis. (…) Pour moi, si je continuais, c’était pour le faire à 100% comme je l’ai toujours fait, pour ne jamais rien regretter, et aujourd’hui je ne me sentais plus prêt à faire ce 100%. J’avais l’envie d’autres choses, de nouveaux horizons, plus de temps avec ma famille. J’ai pesé le pour et le contre, pourquoi 2 ans de plus ? Qu’est ce que cela m’apporterait, qu’est ce que j’aurais à y gagner en plus ? Donc la décision s’est imposée un peu d’elle-même. Et puis j’ai reçu quelques signes, comme ma dernière course 10 ans jour pour jour après ma première victoire. Ce sont des petites choses qui confirment le fait que c’était l’heure de tourner la page.
Avec 6 petits mois de recul, est ce que tu as obtenu ce que tu cherchais dans cette fin de cycle, ce début de retraite ?
Vraiment ! Après je ne suis qu’au début du process, qui est de trouver ma nouvelle voie, et d’arriver à être aussi à l’aise dans ce que je fais aujourd’hui que dans ce que je faisais hier. C’est un défi au quotidien. Mais c’est vrai qu’avec la période qu’on a connue, notamment avec le confinement que j’ai passé avec mes filles, cela m’a conforté dans mon choix, dans cette volonté de m’ouvrir un peu plus, de relâcher une pression qui était importante, et que j’avais sur les épaules depuis que j’ai 15 ans. (…) Donc je suis heureux aujourd’hui de ne plus la ressentir, je ne regrette vraiment rien et je suis heureux de pouvoir envisager les choses différemment.
Au niveau professionnel, tu es toujours dans l’armée ?
Non, je n’y suis plus depuis 2018. (…) J’ai eu la chance inouïe d’avoir un contrat armée en 2008, alors que j’étais un athlète junior. Cela m’a permis de me consacrer entièrement à mon sport et d‘aller chercher une médaille aux JO. En 2014 j’avais demandé à l’armée de terre à partir, de façon à ce qu’un jeune puisse alors profiter à son tour de ce contrat là, maintenant que je pouvais vivre grâce à mes partenaires privés. L’armée avait souhaité que je continue un peu. Et puis en 2018 après les jeux de Pyongyang j’ai fait le choix de partir parce que j’estimais que je n’étais plus à ma place et que je ne devais pas toucher un salaire du contribuable alors que j’avais la chance de générer des partenariats privés à coté.
Tu parlais de la retraite qui t’amène moins de pression, on l’imagine bien sur le plan sportif. Par contre dans la vie de tous les jours tu es toujours autant sollicité, par tes partenaires, le public. Comment tu vis cela alors que tu n’es plus dans la sphère sportive, tu n’as pas envie de dire stop ?
Non, c’est aussi un plaisir maintenant. Finalement j’ai été peu disponible pour mes partenaires et pour le grand public pendant 10 ans. J’avais mes entraînements, ma vie de famille. J’étais très exigeant sur mes temps de présence en public parce que mon objectif c’était la performance sportive avant tout. Donc aujourd’hui c’est un juste retour de ma part. J’ai serré la bride pendant 10 ans, maintenant j’ai plus de temps à accorder à tout le monde.
Le trail running et Martin Fourcade
Parlons trail. Maintenant que tu es retraité, on est nombreux à t’attendre sur les sentiers. Alors, bientôt les dossards ?
Je ne pense pas… Si je le fais, je le fais dans une démarche de performance, moi je ne conçois la compétition que par ce biais là. Et aujourd’hui ma seule volonté c’est de me faire plaisir, ne pas me spécialiser. Je veux faire du VTT avec les copains, du vélo de route le lendemain pour accompagner un autre copain, ou du trail parce que finalement c’est une super journée ensoleillée. Bref, tout cela va à l’encontre d’une spécialisation et d’une préparation dans un programme d’entraînement qui doit être carré. J’ai beau avoir des qualités sportives, si je ne m’entraîne pas spécifiquement en trail… je ne serai jamais très bon en trail. Parce que je fais 80 kg donc si je veux être un bon trailer il faut que j’arrête de faire des activités sur le haut du corps, par exemple. Et cette démarche là, je n’ai pas envie de l’avoir. Je viens juste d‘en sortir avec le ski, et maintenant j’ai l’opportunité de poser ce sac à dos de pression et d’exigence que j’ai eu tout au long de ma carrière.
En fait j’ai envie de faire beaucoup de trail parce que j’adore la discipline. Mais j’ai pas envie de me confronter, parce que je sais toute la préparation assidue que ça nécessite pour être bon. Et je veux être bon si je me confronte, je ne vois pas la compétition autrement ! Et ce n’est pas la démarche dans laquelle je suis aujourd’hui. Mais c’est vrai que je me pose la question, ça fait envie forcément. Mais ça serait retomber dans ce cercle d’exigence que je viens toute juste de quitter.
Donc tu ne fais pas de séances VMA par exemple, que des sorties plaisir ?
Non, que de la sortie plaisir. Bon alors quand même, je me donne beaucoup, je cours parfois sur des bonnes allures. Mais faire une séance, je me dirais « attends mais pourquoi je fais ça, pourquoi je me l’impose ? ».
On ne te verra pas sur une piste quoi !
Je pense que ça viendra, mais pour l’instant j’ai besoin de tourner cette page là, et de profiter différemment. J’y reviendrai sans doute, à cette envie de défi… Mais pendant les deux, trois prochaines années, je veux profiter différemment.
Tu penses garder un pied dans le milieu du biathlon, ou tu préfères couper les ponts ?
Non j’aimerais prendre des distances, mais ça se fera naturellement. Déjà, je pense que ça sera bon pour la discipline. Ça fait 10 ans que le biathlon vit en France à travers mon image médiatique. Et je pense que pour permettre à la discipline de grandir, il faut laisser la place aux nouveaux acteurs.
Après je ne vais pas non plus devenir étranger à cette discipline que j’aime. Je continue à suivre assidûment, je reste en contact avec mes anciens coéquipiers. J’étais avec eux la semaine dernière pour faire une ou deux séances. J’ai la chance d’avoir une position extérieure maintenant, avec un regard impliqué qui peut être intéressant pour eux. Mais c’est à titre informel uniquement. Et c’est plus pour garder le lien avec cette discipline que j’aime. Je veux laisser le biathlon trouver sa place sans moi.
On a vu après le confinement une escalade de défis toujours plus fous les uns que les autres, des records de D+, d’ultra distance… ça pourrait t’attirer ?
En fait je ne suis pas vraiment un amateur de long. Pour moi dans la durée, le sport c’est un Iron Man au maximum, pas plus. (…) J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour ces sportifs, mais ce n’est pas là ou je trouve mon plaisir personnellement. C’est un autre type de douleur qui ne m’attire pas. Plus la longueur de l’effort s’étire et moins je retrouve l’esprit de compétition qui m’a animé. Ce n’est pas la même démarche mentale, c’est pourquoi le court me correspond mieux.
Martin Fourcade et les JO 2024
Ton engagement pour les JO 2024, cela consiste en quoi pour les mois qui arrivent ?
Aujourd’hui je suis président de la commission des athlètes. C’est un rôle qui est assez large, qui permet de faire le lien direct entre le comité d’organisation et les athlètes. Un rôle qui permet de confronter toutes les décisions qui sont prises par l’organisation avec le regard des athlètes. Est ce que tel site par exemple est adapté à l’athlète ?
On me sollicite pour mon expérience, mais aussi avec l’expérience de tous les athlètes qui m’accompagnent dans ce projet. Pour faire en sorte que tous les collaborateurs de Paris 2024 (qui ne sont pas tous sportifs) puissent intégrer à leur décision cette vision du sportif. C’est intéressant, et c’est un super projet, qui mériterait plus de soutien…
Propos recueillis par Corentin & Mickael
Crédits photos : photos non logotées Ludovic Chauchaix
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©Trail Session Magazine, Octobre 2020