Nuria Picas (Buff Team Pro) est actuellement l’une des meilleures ultra-traileuse. Son palmarès et ses classements au scratch la saison passée sont tout simplement impressionnants et nous laisse entrevoir une athlète hors-norme. Au travers de cette interview vous allez découvrir une traileuse qui force le respect, tant par son potentiel, son abnégation que par sa détermination .
– Bonjour Nuria, et merci beaucoup d’accorder à nos lecteurs cette interview. Tu as grandis dans les montagnes catalanes de Montserrat , en Espagne. Est-ce là qu’est née ta passion pour le trail ?
« Oui, j’ai grandi dans les montagnes de Montserrat et c’est là-bas que j’ai appris à escalader, courir et m’orienter. C’est là-bas qu’est née ma passion du sport et de l’alpinisme. Même si je vis désormais dans les Pyrénées, je continue à me rendre à Montserrat, un petit coin de paradis, de temps en temps. »
– Comment as-tu débuté dans le milieu du trail running ? Avais-tu des ambitions bien définies ?
« J’ai débuté le trail running assez jeune (22 ans) lors du marathon du pic d’Aneto en 1999. Malheureusement suite à une chute lors d’une sortie en escalade, une lésion de l’os astragale du pied gauche m’a obligée à me retirer de la compétition pendant plusieurs années. Ce n’est qu’en 2009 que j’ai pu reprendre la compétition pour me lancer sur mon premier ultra-trail fin 2011, celui de Cavalls del Vent. J’ai gagné la course et battu le record féminin ! C’est là que j’ai décidé de me convertir en coureuse de longue distance, discipline dans laquelle j’ai gagné deux titres de championne du monde. »
– Mère de deux enfants et pompier professionnel, comment parviens-tu à organiser quotidiennement tes entraînements ?
« Je bénéficie actuellement d’un congé aménagé de trois ans pour pouvoir me dédier à 100% à la course en montagne. Pour mes enfants, c’est assez simple, car je peux m’entrainer de mon côté tous les matins (ndlr « pendant qu’ils sont à l’école »), et ils m’accompagnent sur les courses auxquelles je participe. Souvent, ils m’attendent à l’arrivée et sont les premiers à m’annoncer que j’ai gagné ! »
– Comment t’entraines-tu ? Peux-tu d’ailleurs nous décrire tes séances ?
« Je m’entraine six jours par semaine, le dernier étant consacré au repos. Il n’y a pas de secret, il faut être régulier et s’entrainer en permanence pour rester au top. Le repos est une chose simple mais il faut quand même apprendre à se reposer, évacuer son stress pour mener une vie tranquille et saine. J’ai l’habitude de m’entraîner entre 15 et 20 heures hebdomadaires, en alternant le trail et le ski alpin en hiver et le trail et vélo de route en été. Pour moi, Le secret reste de profiter de chaque activité au quotidien sans penser à l’entrainement ; de cette manière, on progresse énormément ! »
– Peux-tu nous dire quels sont tes meilleurs souvenirs de courses?
« La course la plus importante pour moi a été l’Ultra Pirineu (ndrl www.ultrapireneu.com), parce que c’est le premier vrai ultra que j’ai disputé, « à domicile ». Je connaissais tout le monde ! Je garde en tête également l’Ultra Trail du Mont-Blanc, parce que c’est l’épreuve reine au niveau européen et peut-être même mondial.
Des souvenirs j’en ai plein ! Mais ce qui me plait le plus, c’est de visiter de nouveaux pays, de connaître de nouvelles cultures et de me faire beaucoup d’amis. Ce que je garderai comme plus beau souvenir des courses de montagne que j’ai disputées de par le monde, c’est que même si on doit composer avec la souffrance, la récompense va bien au-delà. »
– Quels sont tes points forts qui t’ont permis de te hisser au niveau international ? Quels sont ceux que tu penses pouvoir améliorer?
« Je considère qu’au niveau génétique, je suis chanceuse. Mais derrière tout ça, il ne faut pas oublier qu’il y a également une vie d’abnégation, de sport et de pratique de la montagne. Mais aussi une grosse dose de motivation et une grande tolérance à la souffrance. J’aime la phrase « La souffrance est temporaire, la gloire est éternelle ».
Peut-être aussi que l’expérience des terrains montagneux m’a donné un petit “plus” pour toucher au haut niveau mais je crois que la clé du succès reste la régularité et le travail quotidien. Je pense également que la chance aide beaucoup pour éviter les blessures.Mais ce qu’il faut c’est conserver sa motivation et sa passion pour ce que l’on fait. Pour ma part, elle ne tarit pas !
Enfin, techniquement ma distance favorite oscille entre 80 et 100 km avec une préférence pour les descentes bien techniques.Mon point faible reste peut-être la gestion de la chaleur et du ravitaillement au-delà des 6 heures de courses. »
– 2014 a été une année de consécrations et de victoires, puisque tu remportes l’Ultra Trail World Tour. Tu termines également sur la plus haute marche du podium lors de la Transgrancanaria, de l’UTMF, de la North Face 100 Australia, des Templiers. Parmi toutes ces courses, quelles sont celles qui t’ont marquées le plus ?
« Toutes ces courses son différentes et j’en garde un souvenir particulier à chaque fois. Le coup de poker des victoires de l’ultra Pirineu, est mon coup de coeur. Concernant les autres que tu as citées, celle où j’ai le plus souffert fut l’Ultra Trail du Mont Fuji où se succédèrent les heures de souffrance et où j’ai dû faire face à des moments réellement éprouvants physiquement. La Transcanacaria a été ma première victoire en 2014. Quant aux Templiers, c’était ma première Coupe du monde en 2012.
La North Face 100 Australia est passée très rapidement : en une semaine, je suis arrivée, j’ai couru, j’ai gagné.
Lors de toutes ces courses, j’ai connu des lieux et des personnes vraiment exceptionnelles. Je ne retiens pas une course en particulier mais un ensemble de beaux souvenirs. »
– A quoi penses-tu lorsque les douleurs ou les doutes te submergent au cours de tes ultras ?
« Le corps est intelligent et s’adapte rapidement aux épreuves que nous lui soumettons. Il n’y a pas de secret, il faut savoir respecter les périodes de repos et mener une vie tranquille, sans stress. Une bonne alimentation est essentielle et il faut savoir rester à l’écoute de son corps. J’ai la chance que mes blessures ne me poursuivent pas, mais j’essaie d’être attentive aux signaux que mon corps m’envoie et d’en prendre soin. Tout le monde connait la fatigue, mais il faut savoir la traiter et ne pas cesser de lutter. Tout le monde a mal aux jambes quand on atteint les 100km de course, le premier comme le dernier. »
– As-tu une référence, un modèle en course à pied ?
« Nous nous focalisons toujours sur les meilleurs et essayons toujours d’apprendre d’eux. J’admire les capacités physiques de Kilian, l’élégance de François d’Haene, le professionnalisme d’Iker Carrera, l’hygiène de vie d’Antoine Kruprika, la sagesse de Joe Grant, le sourire d’Emelie Forsberg, la force d’Anna Frost, la trajectoire de Nerea Martinez….Je pourrais continuer à citer des noms et des noms… »
– T’es-tu déjà fixée une limite en termes de distance ou d’âge pour pratiquer cette discipline ?
« Je n’ai jamais pensé à une date pour faire mes adieux, mon corps me le demandera en temps voulu. Mon objectif est d’être heureuse et de vivre au jour le jour, comme si c’était le dernier. Je pense que j’arriverai à mes limites quand je ne prendrai plus de plaisir à parcourir tous ces kilomètres. Mais la vie sera toujours un sport merveilleux. »
– Après toutes ces épreuves remportées la saison passée, quels sont tes projets pour en 2015 ?
« Cette année, à part les courses en montagne, j’ai le projet d’escalader le Malaku, un sommet Himalayen de plus de 8000m pendant le printemps Népalais. Je serai accompagnée de Ferran latorre, un alpiniste de renommée internationale. C’est un rêve d’enfant qui va devenir une formidable expérience. Bien sûr, j’ai toujours pratiqué l’escalade et de l’alpinisme, mais là est venu le moment de réaliser un rêve de toujours.
En dehors de ça, j’aimerais renouer avec la victoire à l’Ultra Trail world tour en participant à des courses mythiques comme l’UTMB. Sans oublier la BUFF EPRIC TRAIL au mois de Juillet et l’Ultra Pirineu fin septembre. Sacré programme pour 2015 ! »
– Une toute dernière question Nuria : pourquoi avoir accroché tes chaussures sur un piquet lors de l’Ultra Cavalls del Vent ?
« Elles m’accompagnent dans chaque entraînement, dans chaque course … et pour cela, elles méritaient bien un piédestal ! Le Camí de Cavalls est une boucle de sentier de l’Île de la Minorque, un circuit spectaculaire que j’adore parcourir une fois par an. »
Merci beaucoup Nuria pour nous avoir offert cette interview. Toute la rédaction de Trail Session te souhaite de très belles victoires à l’aube de cette nouvelle saison !
« Gracias a ustedes.Un fuerte abrazo, Nuria »
Propos recueillis par Valessa Oliveira
Traduction : Philip Oliveira et Brice Sauvage
Crédits photos : El Periodico, Ian Corless, Runners World, Trail Endurance, Le Pape.