Le champion du monde de trail 2009, et quadruple vainqueur de la mythique course des Templiers, Thomas Lorblanchet, s’est longuement confié à Trail Session. Il se livre en toute honnêteté et humilité sur sa dernière saison et sur son avenir.
Trail Session vous ouvre le premier volet de cet entretien pas comme les autres…
LE SPORT DE HAUT NIVEAU ,UNE HISTOIRE DE FAMILLE :
– Avec un passé de triathlète de haut niveau puisque tu as fait partie de l’Equipe
de France junior de triathlon et une soeur, Marion, triathlète professionnelle, il
semblerait que le sport soit une vraie culture familiale. Est-ce le cas ? Comment
ce goût pour le sport et l’effort vous a-t-il été transmis ?
Nos 2 parents étaient tous les deux professeurs d’EPS. Nous avons donc baigné dans le sport depuis très jeune. Même si cette culture du sport outdoor était relativement éloignée de leurs pratiques respectives, ils nous ont nous inculqué les valeurs qui ont pu nous amener à une certaine pratique du haut niveau. Ils s’occupaient d’un club de natation, c’est donc un peu naturellement que ma soeur et moi nous sommes orientés vers cette discipline.
Même si les sports que ma soeur et moi avons choisi à chaque carrefour de nos vies étaient au final assez éloignés de nos pratiques initiales, mes parents ont fait en sorte que l’on puisse s’y épanouir.
– Quelles sont justement tes relations avec Marion ? Est-ce que vos performances au haut niveau ont été une source d’émulation entre vous ? Vous faisiez la course déjà petit à la sortie de l’école ?
J’entretiens de très bon rapports avec ma soeur, c’est la Tata Bubu de mes filles (rires). La proximité géographique et notre histoire sportive nous rapproche, plutôt que nous divise. Ma soeur a longtemps emboîté le pas lors de mes choix sportifs. Cependant lors de mon passage en trail en 2001, Marion a continué dans le triathlon pour tenter son rêve olympique avant de basculer en X-Terra par la suite. Nous ne nous sommes jamais positionnés sur le même créneau au final, de par la différence d’âge dans un premier temps et également de sexe. Maintenant il est vrai que les résultats de l’un ou l’autre vous ouvre des perspectives et attise une volonté non pas de faire mieux mais au moins tout aussi bien.
– Au quotidien, tu es kiné-ostéopathe. Tu officies des deux côtés de la barrière en quelque sorte. Est-ce que les connaissances liées à ta profession t’ont permis d’éviter des blessures ou des erreurs ? Penses-tu détenir en cela un avantage ?
Je ne sais pas si le fait d’être de l’autre côté de la barrière me protège des blessures. Mais si jamais cela avait été le cas, à la vue des blessures que j’ai pu enchaîner ces derniers temps, je n’ose imaginé si je n’avais pas été du milieu. Non sincèrement, je suis plus à même de comprendre les schémas des lésions ou des traumatismes que je peux avoir, mais à vrai dire je suis bien meilleur sur les autres que sur moi-même. Le fait d’effectuer une profession prenante en parallèle m’empêche davantage d’assurer des plages de récupération physique. Par contre c’est de loin ma soupape de sécurité pour garder un pied dans le monde réel.
– T’astreins-tu à une certaine discipline, une rigueur au quotidien, lorsque tu te prépares à une grande échéance ?
Comme tu l’as mentionné, je suis kiné-ostéopathe, j’ai un cabinet à Gerzat (63), je suis également papa de 2 enfants, donc de par la force des choses, l’entraînement au quotidien nécessite une certaine organisation.
J’aime assez bien prendre l’image des curseurs. Il est difficile voire impossible d’avoir tous les curseurs (professionnel, familial, sportif…) au taquet. Il y a des moments dans l’année où l’un va prendre le pas sur les autres. Et même si le trail reste la chose la plus importante des choses secondaires, lorsque je prépare une échéance importante, je me focalise sur l’objectif que je me suis fixé et essaie de faire les choses sérieusement, mais sans me prendre au sérieux. Ce n’est que du trail.
– Après tant d’année dans ce milieu, t’épanouis-tu toujours autant à te rendre sur des trails et échanger avec des coureurs ? Ta passion pour cette belle discipline est-elle toujours intacte ?
J’attaque ma 15e saison de trail. L’épanouissement dans une pratique sportive telle qu’elle soit dépend énormément de ce que l’on y recherche. Dans mon cas, le trail m’apporte un équilibre au quotidien, un moyen de m’évader. Mais également une source d’apprentissage sans fin sur ma façon de fonctionner pendant l’effort et surtout de partage avec mon environnement au sens le plus large.
Ma pratique de la discipline évolue avec les années, vos points forts d’aujourd’hui peuvent devenir vos points faibles de demain mais ma vision du trail reste la même qu’à mes débuts : l’aventure, le dépassement de soi et la découverte.
UNE SAISON 2014 A L’IMAGE D’UN ULTRA AVEC SES HAUTS ET SES BAS
– Le début d’année 2014 s’est malheureusement soldée par un abandon à l’Ultra Trail du Mont Fuji en avril, et pour lequel tu t’étais ardemment préparé. Peux-tu nous dire ce qui s’est passé ? Comment l’as-tu vécu ?
J’avais fait de cet Ultra Trail un objectif de début de saison voire de saison. Il y a eu clairement plusieurs paramètres qui ont amené à cet abandon.La préparation: d’aprés les infos sur la course récupérées ici et là, je m’étais préparé à une course plutôt roulante avec un dénivelé certes conséquent mais sur des portions courtes et courantes. Au final, même si le premier tiers de course était roulant, la suite ressemblait davantage à des portions type »Diagonale des Fous », au final à l’encontre de mes qualités de base. Trés tôt, j’ai eu des difficultés à m’alimenter dans un premier temps et à m’hydrater dans un second.
Je prends donc la décision de m’arrêter autour du 105e km aprés avoir eu de grosses difficultés à uriner. Bilan : une insuffisance rénale aigue… Bref, c’est l’apprentissage du long… Sur le coup, j’étais bien sûr extrêmement déçu de n’avoir pu rejoindre l’arrivée. On en tire toujours des points positifs mais sur le coup c’est loin d’être ceux là que l’on voit d’emblée.
– Le sort s’acharne puisque deux mois plus tard, tu te fais opérer des adducteurs. Comment as-tu géré physiquement mais aussi moralement cet arrêt forcé? Dans quel état d’esprit as-tu mené ton retour à la compétition ?
En fait depuis ma première opération des adducteurs à gauche fin 2012, j’ai toujours été un peu »Border line » côté droit. Avec comme tu le dis »des hauts et des bas ». Cependant, j’ai eu une très grosse alerte à la reprise aprés le Fuji fin Mai qui m’handicapait énormément. J’ai pu en discuter avec mon chirurgien qui m’a confirmé ce que je craignais, à savoir que le côté droit avait compensé et qu’il serait de bon ton de symétriser les choses. J’ai donc couru Out Run the Sun sur les dents et incapable de marcher le lendemain. J’ai pu me faire opérer fin juin sur Bordeaux. Aprés une opération, le retour à la compétition ne peut être votre moteur premier car vous démarrez de tellement bas qu’il serait presque démoralisant de devoir se projeter avec un dossard. Je me suis donc fixé des objectifs secondaires, réalisables et les ai pris les uns aprés les autres.
Malgré cela, la saison avançant, je pense avoir commis l’erreur de céder aux sirènes de l’emballement médiatique et ai accéléré ma rentrée, je pense à tort.
– Le trail du Sancy, à l’issue duquel tu as terminé sur la plus haute marche du podium faisait-il partie de tes objectifs ? Cette victoire t’a-t-elle permis de retrouver la confiance ?
C’est toujours avec un énorme plaisir que je cours sur les crêtes du Sancy, en compétition ou non. Le trail du Sancy n’était pas un objectif en soi. Malgré tout je revenais de Suède (Ultra Vasan) où j’avais pu aller en famille et où malgré une course »galère » je n’en ressortais pas avec une fatigue trop importante.
J’ai donc pris ce trail du Sancy, comme un retour aux sources, courir sur mon territoire avec des jambes »neuves ». Les douleurs étaient encore très présentes, mais la course se passe bien et effectivement m’a permis de reprendre confiance en moi et surtout en mes capacités de pouvoir enchaîner du dénivelé.
– Au final, quel est ton ressenti face à cette année 2014 un peu particulière ?
Sincèrement, 2014 aura été une saison extrêmement galère. Aprés avoir fait comme objectif un Ultra en début de saison et par conséquent le deuil sur des capacités à courir relativement vite sur 3h00, la blessure ne m’aura pas permis de capitaliser des qualités sur des formats ultra. Un peu le pire des scénarios… Du coup, aprés quasiment 3 mois sans entraînement (Mai, Juin et Juillet), je me suis retrouvé à devoir travailler plus ou moins des fondamentaux de l’entraînement en plein milieu de saison et à devoir précipiter les choses sur un organisme en pleine cicatrisation post opératoire. Au final, pas mécontent de tourner la page…
Texte: Valessa Oliveira